Grenier de Thorondor
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chhhhut faut pas reveiller les Méchants !
 
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 Le chemin d'une vie

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Nayla
Chef Bulle
Nayla


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MessageSujet: Le chemin d'une vie   Le chemin d'une vie EmptyDim 8 Jan - 2:36

Le chemin d’une vie

La mort est un processus rectiligne comme disait l’autre. Eh bien, maintenant, j’y crois.
C’est une ligne bleue, parfaite, une ligne droite comme jamais aucune ne l’a été. Elle est d’un bleu profond, froid, dur, et envoûtant. Elle est net, sans aucun défaut, c’est la perfection portée à l’état de ligne, la plus pure et incontestable droite. Elle est infinie, aussi, car où que l’on porte son regard, où que nos pas nous mène, cette ligne est toujours là, imperturbable, ininterrompue. Loin à l’horizon, on la voit se perdre dans l’immensité vide de ce monde. Il n’y a rien à la surface, rien que cette ligne bleue, rien que la courbe d’horizon, perpendiculaire.
Je suis ma ligne depuis, me semble t-il, des semaines entières. Je la longe, le lui marche dessus, et elle guide mes pas toujours plus loin dans cet autre univers que je découvre. Dénué de toute chose matérielle, vide de sens et de nature, tout se perd et s’échappe sous mes yeux. Je me sens seul, affreusement seul, comme si, quoi que je fasse, où que j’aille, je ne trouverai rien ni personne … rien à part cette ligne bleue, obsédante, entêtante. Et je ne peux la quitter, je ne peux me résoudre à laisser s’échapper mon seul point de repère. Je risquerai de me perdre, de ne plus jamais en sortir … mais sortir d’où? … Trop de questions …
Je marche … je la suis, encore et toujours…
Je lève la tête de temps à autres, mais toujours cette atmosphère sans ciel m’oppresse.
Je sue, pourtant je n’ai pas chaud, mais il ne me semble pas non plus qu’il fasse froid… Aucun soleil n’est là pour dispenser sa clarté. Pourtant il y a de la lumière, puisqu’il ne fait pas noir, mais elle est indéfinissable, irréelle, blanche, et pâle à la fois.
Je relève la tête, continuant de rythmer mes pas à la cadence uniforme de ma ligne, mais …

Qu’est-ce? …
Un mirage, une hallucination? …
L’horizon se détache il s’approche de moi …
Oui je perçois maintenant, comme … comme une autre ligne!
Elle est perpendiculaire à la mienne, elle est bleue, du même bleue que celle sur laquelle je cours maintenant.
Les yeux fixés sur cet espoir approchant, j’accélère comme un fou, un dément, je ne veux pas la perdre! La seule présence depuis que je suis arrivé ici, la seule chose!
J’arrive enfin devant. Je me calme, à bout de souffle, les mains sur les genoux et le visage marqué par un rictus d‘épuisement.
Elle passe juste sous mon nez, et elle est parfaitement perpendiculaire à ma ligne. Jamais personne au monde ne réussirait à tracer si pure perpendiculaire. Aucun défaut, une création divine…
Je tourne la tête, de gauche à droite, essayant de discerner autre chose, suivant la ligne du regard. Mais elle aussi se perd dans l’infini paysage vierge. Elle est tout à fait identique à la mienne, et si je n’étais pas intimement persuadé de me trouver sur ma ligne de départ, je pourrai confondre les deux, et me perdre dans un choix que je ne pourrai jamais trancher.
Je n’ose la fouler du pied, je n’ose y poser mes empreintes. Ma nudité ne me fait plus peur, mais sait-on jamais ce qu’il peut arriver.
Pourtant, malgré mes réticences intérieures, je prends mon courage à deux mains et dépose un pied sur la ligne perpendiculaire.

***
Un vertige, une vision floue et dansante, une impression de chute … puis le calme.
Je relève la tête, et mes yeux s’agrandissent un instant. Mon cœur se soulève de joie et d’espoir devant la vision qui m‘apparaît.
Je me trouve chez moi, dans ma maison natale, près du petit village dans lequel je suis né. Une bonheur indescriptible me transporte. J’ai réussi à m’échapper de ce monde vide, et je suis retourné directement chez moi. Mais … il y a tout de même un problème. Si je suis là, c’est avant l’accident … ce n’est donc pas possible, car, à ce que je sache, personne n’a jamais encore réscusité…
Mon cœur ne bat à présent plus la chamade. J’ai compris qu’il y a quelque chose de louche, que la situation dans laquelle je me trouve n’est pas réelle.
Tout à coup, j’entends des cris dehors, des cris d’enfant, des voix jeunes et aigues qui rigolent, et par lesquelles s’évade le plaisir d’enfants. Je me penche à la fenêtre et aperçois deux silhouettes dansantes dans la cour, devant la maison. C’est quand je les vois à la lumière du jour que mon sang se glace. Je suis pétrifié, car ce que je pense voir est impossible. Je savais que ce monde était irréel, mais pas à ce point, non, pas à ce point.
Car le petit enfant qui s’amuse tant avec cette petite fille, ce petit enfant, c’est moi! Moi, jeune, encore gamin, jouant avec celle qui deviendra plus tard ma femme, et qui est maintenant entrain de pleurer son homme disparu!
Une violente vague de colère me prend à la gorge. Qui donc ose m’infliger une telle vision?! Je suis mort, ce camion ne m’a pas loupé, il m’a écrasé, certes, mais de quel droit me fait-on revivre des scènes de bonheur oublié? Comment peut-on me faire subir si cruelle punition! C’est donc ça, le jugement? Ai-je commis trop de crimes dans ma propre vie pour qu’on me laisse mourir en paix?
Puis un vertige me reprend, tout danse autour de moi. Mais cette fois-ci, au lieu de me retrouver dans un lieu différent, des images m’apparaissent. Plus que des images, ce sont des sentiments, des souvenirs, des émotions qui m’assaillent.
Je me revois, jeune adolescent, n’ayant d’yeux que pour cette jeune fille avec qui j’ai passé tant d’après-midi heureux à jouer au dehors. Je perçois son parfum, sa manière de parler, de courir, de me sourire quand elle me voit.
Puis je me rappelle, cette première fois, et une nuée de sentiments reviennent à ma mémoire. Si crus et si réel que je me laisse emporter par leur beauté. Oui, cette nuit-là, je savais qu’elle allait être ma femme, que nous allions vivre ensemble.
Puis je la revois, enceinte, le ventre gros et rond, la promesse d’un enfant de moi, une petite fille, la merveille de ma vie.
Puis vient cette bague, que je lui glisse au doigt devant tant de personnes souriantes. Je l’embrasse et nous nous promettons l’un à l’autre toute notre vie, jusqu’à la mort.
Mais elle m’a pris, ma belle, elle m’a emporté avec elle, loin de toi, loin de notre fille. Ne pleure pas, je n’en vaux pas la peine, mais souviens-toi, oui souviens-toi, des moments que nous avons vécus … rappelle-les toi toujours, et raconte-les à notre fille … notre merveille

***

Je suis à genoux, pleurant toutes les larmes de mon pauvre corps sans vie. Trop de souvenirs, trop de bonheur perdu. Elle a croisé ma vie, elle l’a rendue clair et belle. Jamais je ne cesserai de la remercier, jamais.
Mais déjà les sentiments me quittent, et déjà je m’éloigne de sa ligne de vie, cette ligne que j’ai croisé et qui est la sienne. La principale différence réside dans le fait qu’elle représente sa vie. Ma ligne à moi, représente ma mort. Elle a croisé mon chemin, nos deux lignes se sont rencontrées puis elles ont continué leur route, indifférentes.
Et déjà je ne regarde plus en arrière, je me suis remis à marché, comme précédemment, avec la même lenteur et la même résignation. La tête basse, le poids de ma conscience sur les épaules, je pause un pied devant l’autre sur la ligne bleue qui me sert de guide. Elle me conduit inlassablement vers cet ailleurs que je ne soupçonne pas. Mais je lui fais confiance, elle sait où elle va, j’en suis persuadé

Une longue période s’écoule encore, emplie de vide et de sueur, à longer pas à pas cette parfaite droite, qui m’entraîne toujours plus loin vers l’horizon.

Mon esprit s’éveille soudain, mes sens me revienne brusquement, car, oui, au loin, une nouvelle ligne m‘apparaît. Un nouveau carrefour d’Outre-monde se dessine sur l’horizon pâle. Il s’approche de moi, et je peux enfin le distinguer. Aussi net, et impeccablement perpendiculaire que la précédente ligne, elle s‘étend sur l‘horizon, comme posée là par le destin. Encore un chemin qui a croisé ma vie, peut-être un ami, peut-être un parent, qui sait … je pose le pied sur son bleu profond.

***
Le vertige est moins puissant, mais le décor autour de moi est assez flou pour me faire perdre la tête un instant. Quand je reviens à la réalité, c’est dans la cour d’une petite école maternelle que je me retrouve.
Je la reconnais tout de suite, l’école du village. Ses deux arbres penchés qui nous servaient de falaise d’escalade, ces bancs glissants que nous utilisions comme des toboggans.
Et puis je me distingue enfin, au milieu de la foule de marmots qui crient et jouent comme seul des enfants de trois ans peuvent le faire. Je suis là, assis sur le banc, quand un autre garçon s’approche de moi et me pousse violemment par terre. Moi, blessé dans ma fierté, je me relève et tente maladroitement de lui tirer les cheveux pour lui faire regretter son geste.
C’est alors que le fou rire me prend. Ce garçon, qui est entrain de me persécuter sur le banc, n’est autre que mon meilleur ami de toujours. Depuis cette scène fatidique, nous ne nous sommes jamais quittés. Comme un frère pour moi, comme une amitié intense qui ne prendrai fin que dans la mort…
Puis le vertige reprend, et les sentiments m’assaillent à nouveaux. Un mélange de souvenirs, d’impressions, de couleurs s’embrasent en moi et me font revivre des moments oubliés.
Je nous revois, luttant côté à côté dans l’équipe de football de la commune, ignorant la boue et le brouillard pour n’avoir que seule ambition de faire pénétrer le ballon dans la cage adverse. Nous étions les meilleurs, car tant de complicité pouvait vaincre toutes les barrières du monde, alors ce n’est pas un match qui allait nous faire perdre!
Puis c’est au tour de la musique, la danse et les chants. Notre petit groupe n’était, certes, pas brillant, mais l’important pour nous était d’y prendre du plaisir, ce que nous réussissions. Ce sont des bruits qui me reviennent en mémoire, des sons, des mélodies, des colères. La musique me plaisait, à lui aussi, son visage suant sur sa guitare, son sourire béat devant les applaudissements chaleureux.
Enfin vient le tour de son mariage, puis de sa paternité. Nos dates se suivaient de près, et ce n’est pas parce que nous le faisions exprès, mais le destin en avait voulu ainsi.
La dernière image qui me frappe fut celle de sa tête au dessus de mon corps, ses larmes tombant sur mon visage brûlé, ses cris de détresse aux pompiers qui m’emportaient dans l’enfer blanc … lui aussi il avait croisé ma vie, lui aussi je l’avais perdu.

***

Je ne prends même plus la peine de me retourner pour espérer voir quelques dernières parcelles de mon ami de toujours. Le meilleur et le plus loyal, jusqu’à la mort. Il a croisé ma vie aussi parfaitement que sa ligne a croisé la mienne, encore deux chemins qui se sont rencontrés par la voie du destin…

Les heures se succèdent à nouveau. Chaque minute, je me prends à espérer voir une autre ligne arriver. J’aime revoir ces moments de vie, j’aime me rappeler ceux qui m’ont aimé, ces simples chemins qui ont croisé le mien. Mais ma ligne se poursuit, indubitablement, parcourant les kilomètres qui ne représentent rien en cet Outre-monde.
Puis assez rapidement, l’horizon se détache à nouveau de sa courbe pour m’apporter l’annonce prometteuse d’une nouvelle ligne.
C’est le sourire au lèvre que je la voie s’approcher, que je vois ce carrefour se dessiner de plus en plus nettement au point de m’atteindre. Etrangement, il n’y a pas cette fois une mais deux lignes côtes à côtes. Peu importe, c’est avec enthousiasme que je pose mon pied sur ces chemin d’autres vies…

***

Tout est précipité, tout est brusque et tout s’affole, les infirmières courent dans tous les sens, toute la famille est en émoi. On annonce mon arrivée imminente dans les bras de la vie. Ma naissance ne devrait pas durer plus de quelques heures, et tout le monde attend cet évènement avec une excitation incontrôlée.
J’entre dans la chambre et je les vois. Ma mère est allongée, elle e l’air de souffrir. Elle respire bruyamment et son visage est marqué de traits de tensions. Mon père, lui, est monté à genoux sur le lit, au côté de ma mère, l’aidant de tout son âme dans cette épreuve.
Je m’émeus de cette scène, car c’est celle qui a débuté ma vie, celle qui m’a donné le jour. Eux, mes parents tant aimés, qui n’ont cessé de me parfaire et de m’éduquer selon leur meilleure volonté, eux qui ont su quand et pourquoi je devais naître, eux qui de leur bonheur généreux, m’ont fait partager toute une vie. Ils sont mes parents … ils sont les deux êtres les plus cher à mon cœur … ils m’aiment … je suis leur fils.

***

Cette fois, je ne peux résister à la tentation. Une fois revenu en Outre-monde, les yeux humides de larmes, je me retourne vers cette ligne bleue qui est la plus importante de celles que mon chemin a croisé. Je la scrute intensément, le visage en pleurs, les yeux fermés par l’émotion. Je regarde leurs lignes, comme si je voulais les faire revivre, juste un peu, juste un au revoir. Eux, jamais au monde je n’aurai voulu les quitter, mais la mort en a décidé autrement, elle m’a forcé à le faire … je la hais, je hais cette stupide mort, plus encore que le camion qui m’a renversé. Dans un geste de colère et de frustration, je retourne brusquement la tête vers l’horizon que je crois être toujours à sa place.
Alors tout s’arrête.
Tout se fait silence.
Je baisse les yeux, et sous mes deux pieds, je vois ma ligne qui s’arrête. Elle, si bleue et si belle, se stoppe à deux centimètres plus loin.. Plus loin, il n’y a rien. La définition du rien n’avait jamais pris autant de sens à mes yeux. Le néant, le vide de tout, plus de lumière, plus de silence, plus de matière … plus rien. L’horizon a disparu, l’atmosphère n’est plus … la ligne droite est parfaite est interrompue.

Le choix crucial, le plus important qu’il m’ait été donné de faire, se présente à moi comme une évidence. Il faut me décider. Et je n’hésite pas une seconde.
Plongeant sans peur dans l’abyme, je franchis la limite de la mort, je pose le pied dans le néant … je m’envole … il m’emporte … je flotte. Je ne sais pas si je chute ou si je m’élève. Je ne sais si je suis encore quelque part, je ne comprend pas ce qu’il m’arrive, mais pas un instant je ne regrette mon choix.
Ma tête se brouille, je me perds intérieurement, je ne sais plus qui je suis, ce que je suis, si je suis encore quelqueun ou quelque chose.

… l’absence…

Puis la vague me submerge. Tout revient avec une violence inouï. Mes sens s’éveillent à nouveau à la vie. Ma peau sens le contact de l’air, et mes oreilles entendent le bruit de la vie. Je remonte à la surface, j’émerge. Une immense quantité d’air me rentre dans les poumons, pour la première fois, et je pousse un cri issu du fond de mon âme. Pour moi, il signifie la renaissance, pour les autres personnes présentes, il semble dénué de sens. Je sens de mains plastifiées qui me serrent le ventre, puis qui me soulèvent en l’air. Les visages autour de moi sont heureux, les rires sont joyeux, et c’est à ce moment là que ma mère me prend dans ses doux bras, pour la première fois. Mon père se penche au dessus de mon visage, et son souffle chaud se fait porteur d’un message annonciateur…
« Mon tout petit, enfin tu es là, enfin tu es né … »
Oui papa, je suis là …

…un nouveau commencement …

… une autre vie qui débute …

… une nouvelle ligne qui se trace, dans les profondeurs vierges de l’Outre-monde …

… une ligne bleue, parfaite, et qui en rencontrera d’autres, comme autant de chemins, comme autant de vies …



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