Grenier de Thorondor
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chhhhut faut pas reveiller les Méchants !
 
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 D’une lumière brune…

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Nayla
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MessageSujet: D’une lumière brune…   D’une lumière brune… EmptyLun 9 Oct - 17:02

D’une lumière brune… joute n°15 sujet : L'Île


Mon enfant, ma soeur,
Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble !


Le sage Galdek s’arrêta dans sa lecture. Ses yeux ne lisaient plus aussi bien qu’autrefois, mais son esprit voyait toujours clair. Tout en lisant ces quelques vers parvenus d’un autre temps, il souriait. Cela faisait maintenant bien longtemps qu’il avait compris le message du plus grand des sages, mais quelques jours à peine s’étaient écoulés depuis qu’il avait décidé de transmettre son savoir…
Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.



L’île. La grande et magnifique, la mythique, l’île symbolique, qui occupent les rêves de tous ceux qui prétendent au bonheur. La plénitude, la sérénité, le calme sont des mots qui ne décrivent qu’à peine la grandeur de ce lieu tant désiré.
Tout y parlerait
À l'âme en secret
Sa douce langue natale.



Le vieil homme baissa une nouvelle fois la vue. Où pouvait-il bien être à cette heure ? Encore jeune, encore inexpérimenté, et déjà sur la voie de la sagesse. Une folie. Voile ce que cela était. Mais la folie cache parfois le plus beau des trésors, Galdek le savait bien.
Quand il avait rencontré le jeune Kern, il l’avait tout de suite pris au sérieux. Non, ce petit écervelé n’était pas du genre à rigoler avec tout. Peut-être ne connaissait-il rien de la vie, peut-être découvrait-il à peine ce que le mot exister signifiait vraiment, mais la volonté irradiant de ces yeux, cette force fougueuse et inébranlable qui animait son âme lui promettait un grand destin. Ainsi il avait accepté de l’aider, de lui donner des indications. Pour sûr, il ne lui avait rien révélé. Le véritable but de cette quête n’était pas l’île en elle-même, mais le chemin qu’il fallait parcourir pour l’atteindre…
Galdek replongea dans sa lecture…
Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.



Oui … Bonne chance, Kern, et que la Lumière t’ouvre la voie …

***

-NON ! Arr…Arrête ça tout de suite ! Dok ! Raaaaa je vais te …
Je n’eus pas le temps d’en dire plus, déjà ce crétin de Dok courait au loin avec mon soulier de cuir ! J’imaginais d’ici les litres de bave à évacuer, les traces indélébiles des deux petits crocs fermement plantés dans la semelle. Son bon mètre dix et ses longues griffes m’interdisaient toute réplique physique, mais c’est avec une froide rancune que je le priverai de son prochain bout de viande, un point c’est tout !
Un pied à l’air, l’autre emmitouflé dans sa chausse, les mains au fond des poches et le regard zieutant en cachette les allées et venues joyeuses de mon crotard, je me décidai tout de même à poursuivre ma route. Je ne marchais pas depuis maintenant trois jours, parcourant à m’en crever les poumons une immense plaine, pour terminer pitoyablement mon entreprise à cause d’une sale bête …

Au bout d’une dizaine d’épines douloureusement enfoncées jusque sur le plus petit orteil, je m’arrêtai et entrepris avec soin de retirer une à une ces envoyées du diable. Exténué, je me permis un soupir las tandis que je jetai sur le paysage alentour un regard plutôt inexpressif. Au loin, rien que l’annonce d’une interminable plaine aride, heureusement parsemée de quelques étendues verdoyantes. Cela aurait pu ressembler à des oasis mais je ne pouvais qualifier ce paysage de désertique. D’ailleurs, les indications qui devaient me mener au but de ma quête indiquaient clairement que je devais traverser une forêt. Orientant mon regard vers la droite, je crus discerner ce qui pouvait ressembler à une orée de bois. Je me fixai cet objectif pour la journée. Dok, que je n’avais plus vu depuis quelques minutes, venait de refaire son apparition. Si les crotards pouvaient sourire, alors le mien le faisait de toutes ses dents. Bouillant intérieurement, je prononçais les mots qui me faisaient regretter amèrement ma condition d’humain chétif :
-C’est bon, crétin de Dok, tu l’auras ta pâté !
Comme je m’y attendais, il ne bougea pas. Ravalant bien profond ma salive en même temps que ma fierté, je susurrais avec répugnance :
-Ca va, ça va, je retire le crétin.
Alors, mon crotard me sauta dans les bras, et j’accueillis ces soixante-dix kilos comme je pus, c’est-à-dire étalé sur le sol. Après m’avoir couvert de coups de langue, il bondit sur le morceau de mouton que je lui tendais.
L’aventure de la journée tirait à sa fin, si mouvementée que je me permis des traits d’autodérision à haute voix que Dok ne saisit pas. Seul, je restais incompris et m’étendais sur ma couverture. Je n’avais plus qu’à attendre la nuit, et, par la même occasion, la déshumidification de mon soulier. Fermant les yeux, j’entrepris de trouver une position la moins inconfortable possible. Près de l’arbre misérablement feuillu que j’avais trouvé, je sombrais bientôt dans un sommeil peuplé de songes …

***

Je tirais la langue, j’étais un crotard, je ne trouvais plus ma route mais pourtant, je marchais sur un chemin de terre tracé par la lame d’un couteau. Je voyais au loin une tâche brune se détacher sur l’horizon. Je ne l’identifiais pas, le soleil tapait trop fort sur mon crâne poilu. Mais où était le soleil ? Je ne le voyais plus. Il faisait pourtant jour ! Je continuais ma marche aveugle, j’avais du mal à respirer. Je ne pouvais courir, même si l’envie m’en démangeait les pattes. Juste un petit bond, une accélération pour sentir le vent frais pénétrer ma fourrure. Mais des fils invisibles me retenaient, me forçaient à réduire mes mouvements à néant. Ces fils … ces fils étaient les lacets de ma chaussure. Je ne sentais plus que l’humide chaleur de mon soulier dans lequel j’étais barricadé. Les lacets s’entortillaient autour de mes jambes, me serraient et m’enfermaient, je criais mais l’écho me renvoyait ce hurlement en pleine figure. De grosses larmes brûlantes me rougissaient les joues, désemparé, vidé…enfermé …

***
La chute d’un gland sur mon crâne me réveilla en sursaut. Je suais à grosses gouttes, j’avais les joues rouges et l’haleine fétide. L’image de moi qui se reflétait dans les yeux de Dok ne me rassura en rien sur mon apparence et mes tremblements ne semblaient pas vouloir diminuer d’intensité. Je me forçais à respirer calmement, tranquillement. Je m’obligeais à lever les yeux vers le soleil éblouissant de la mi-matinée. Petit à petit, je réussis à passer du stade d’affolement total, à celui de panique modérée, puis je retrouvais le calme salvateur.
Ce rêve …
Ce cauchemar !
Devant les gémissements soutenus de Dok, je me levais, chancelant. Mais très vite je repris le contrôle de mes muscles et pus constater que ma chaussure était fin sèche. Décidant de faire l’impasse sur ce qui s’était déroulé cette nuit, de n’interpréter en rien ce rêve affreux, je pliai rapidement ma couverture et repris la marche.



J’essuyais péniblement les grosses gouttes qui dégoulinaient de mon front, et que les quelques heures de marche de ce matin n’avait cessé d’accumuler. Je stoppai mon allure et m’assit en tailleur à même le sol – qui se couvrait maintenant d’une végétation quasi verdoyante. Je sortis de mon sac un morceau de jambon salé – que j’accompagnerai avec du pain -, puis j’extrayai de ma poche une feuille pliée en quatre :
-Bon, j’ai franchi le ruisseau, je suis passé devant la maison abandonnée aux volets bleu moche, j’ai à nouveau traversé le ruisseau, puis l’ai longé jusqu’à l’orée de la forêt. D’après les indications de la carte, nous sommes sur la bonne route, Dok.
Deux oreilles relevées accueillirent cette bonne nouvelle. Je ne sais pourquoi je me forçais ainsi à parler à mon crotard, sans doute avais-je besoin d’une présence autre que moi, mais peu importait aujourd’hui, il fallait marcher…après le casse-croûte…


Peu avant la soirée, nous arrivâmes devant une étrange bâtisse, construite par hasard dirait-on au milieu d’un sous-bois clairsemé. Faite de brique et de broc, légèrement inclinée sur la droite, elle semblait inhabitée. Pourtant, la fumée ocre qui s’échappait de la cheminée prouvait le contraire. Alors que je m’apprêtais à frapper quelques coups sur le panneau de bois qui servait de porte, celle-ci s’ouvrit brutalement :
-Alors, c’est toi ! Entre vite ! HU !
Je restais un instant le poing levé et la bouche ouverte, mais la tape amicale, plutôt appuyée, que je reçus sur l’épaule me fit pénétrer avec empressement dans la maison. Mon crotard s’apprêta à m’imiter mais :
- Non ! Les crotards ! Ils dorment dehors ! HA !
Penaud, Dok perdit toute assurance et ne put se faufiler à l’intérieur avant que ne se referme le panneau de bois. Je ne trouvais pas la force de répliquer, et puis, après tout, il paiera ainsi pour le coup de la chaussure. Je me réjouis à cette idée et considérai d’un meilleur œil celui qui allait être mon hôte pour la nuit. Petit de taille, il avait la bouche qui lui coupait le visage en deux, un nez en forme de patate, et deux yeux globuleux qui regardaient dans des directions opposées. Je réprimai un fou-rire qui me chatouillait la gorge, politesse oblige, mais tout de même, il avait la tête la plus laide que je n’ai jam…
- Assis ! Vite ! Les coudes ! Pas sur la table ! HU !
J’obéis instinctivement à ses ordres et, en quelques secondes, je me trouvais attablé, un air de surprise intense figé sur mon visage, droit comme un I, la serviette sur les genoux et une assiette de soupe sous le nez. Le vieillard s’assit en face de moi. De près, il était encore plus lai…
- Parlons !
- …
- PARLONS !
- OUI ! heu … hé bien, je … je suis parti hier voyez-vous. Sur les conseils de … de … d’un sage, j’ai pris le chemin de la forêt. Car je compte en fait arriver à l’ancien temple, au milieu de … de …

Je me tus, désemparé. L’œil gauche de vieillard me lorgnait toujours, attendant la suite, comme une provocation. Comme elle ne venait pas, il prit lui-même les devants sur un soupir réprobateur :
- Bon ! Je résume puisque tu en es incapable. Ton but : trouver l’île.
- Comment savez-vous ?!
- Ton moyen de locomotion : Deux pieds.
- Et deux chaussures de cui…
- Ta motivation : ?
Je souris franchement.
- Très forte !
- Ton expérience :?
- Heu …
- Ton âge :?
- Eh bien…
Je ne parvenais pas à répondre. Je ne comprenais pas où ce vieux croûton voulait en venir et comment il savait tout cela. Il me dévisagea quelques instants sans plus poser de questions puis, sans prévenir personne, il partit d’un immense éclat de rire qui renversa mon verre et fit trembler ma soupe. S’interrompant péniblement, il entama ce qui se voulait être une moquerie :
- Et tu comptes …
Mais il repartit à rire de plus belle, ne parvenant pas à exprimer ses pensées. Il pleurait presque maintenant.
- Toi …
Il faillit retourner dans son hilarité mais il réussit à se contenir et reprit un peu de sérieux.
- Mon jeune, sais-tu seulement ce que tu cherches ?
- Eh bien … Eh bien oui, je cherche l’île.
- L’île oui, c’est bien cela. L’île !
Il se leva de table et entreprit de tourner autour tout en m’exposant son point de vue. Moult brassées, haussements d’épaules, soupirs, et hochements de tête désolés vinrent soutenir ses propos.
- L’île est un lieu mythique, gamin ! Certains ont passé des années entières à tenter de la trouver. Des guerriers, des sages, des prêtres. La voix de la violence, celle de la religion, celle de la paix, celle de l’amour encore, tous ont tenté d’atteindre ce paradis ! Mais personne ne sait s’ils ont réussi. Soit ils sont revenus bredouille, soit on ne les a jamais revus, morts sans doute. On ne sait même pas si cette île existe. Ce n’est peut-être que le pur produit de l’imagination trop condensée de certains visionnaires. Certains prétendent même que l’île n’est que la « représentation symbolique et imagée de l’inconscient », tu les comprends ces paroles, hein ?! Elle regroupe des croyances et des philosophies, elle a fait naître des craintes et de fous espoirs. Tous ceux qui la cherchent se dirigent vers le centre de la grande forêt, vers ce temple en ruine, mais aucun d’eux ne sait vraiment ce qu’il va trouver là-bas ! Pourquoi l’île serait-elle au milieu de la forêt, y as-tu déjà songer ? As-tu déjà essayer de penser par toi-même, de prendre conscience de ton entreprise ? Regarde-toi ! Tu n’as que quelques années, tu n’as aucune expérience de la vie, tu es incapable de prendre une décision de toi-même, de réfléchir posément à un problème, de formuler clairement tes désirs. Comment veux-tu…
-CA SUFFIT ! VOUS ! Vous …
Je ne trouvais plus mes mots. Une incroyable fureur s’était emparé de moi tout à coup, je ne me contrôlais plus. Je m’étais violemment levé de table et avait renversé l’assiette de soupe d’un geste enragé. Je voulais crier à la face de cet homme odieux tout le mépris qu’il m’inspirait, je voulais lui dire qu’il ne connaissait rien, qu’il ne savait même pas qui j’étais. En prononçant ces mots, il faisait ressortir en moi l’être dont je connaissais la présence, mais qui me révulsait, que je voulais à tout prix faire taire et effacer de mon âme, que ce qu’il disait était totalement faux, qu’il n’avait pas le droit ; que non, je n’étais pas inexpérimenté ; que non, cette décision, ce projet n’avait pas été initié dans l’ignorance ; que oui, je comptais bien atteindre l’île, quel qu’en fût le prix ! Jamais je ne vivrai dans la société que notre monde proposait ! Je trouverai cet autre ailleurs, cet îlot de bonheur pour y finir mes jours et pour les y débuter, ou bien sinon, je ne pourrai survivre, je ne pourrai exister parmi les autres hommes, à travailler pour eux, barricadé par les principes, sans porte de sortie, sans échappatoire ! VOILA, ce que je savais de la vie, et cela me suffisait pour consacrer mon existence absolument inutile dans la recherche d’un paradis, même imaginaire soit-il !
Mais je ne prononçais aucun mot devant ce maudit personnage.
Mu par une colère intense, j’ouvrai la porte à la volée et courrai au dehors, droit vers la forêt naissante. J’entendis à peine ce que le vieil homme criait derrière mon dos. Ce devait être quelque chose comme :
- Oui, c’est exactement comme il ne fallait pas réagir. Incapable d’accepter ses propres défauts ! GAMIN !
Je m’assis brutalement contre le tronc d’un arbre. Je ne connaissais même pas cet homme, j’étais à peine rentré chez lui, il ne s’était même pas présenté, que déjà il prétendait m’apprendre ce que j’étais, moi. Qui mieux que moi me connaissait ?! Moi ! Et croyez-moi j’avais pris le temps de m’étudier ! Je ne me laisserai pas déstabiliser par de telles paroles sans sens…non !


Dernière édition par le Lun 9 Oct - 17:07, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: D’une lumière brune…   D’une lumière brune… EmptyLun 9 Oct - 17:03

***

Je n’étais plus un crotard. J’avais retrouvé mes mains d’enfant, potelées, et le visage grassouillet de ma tendre jeunesse. J’avançais difficilement. Je venais à peine d’apprendre à marcher. Tous mes mouvements se révélaient être un exercice difficile et périlleux. J’errais parmi de grandes herbes jaunâtres, les repoussant de mes mains tendues droit devant moi. Je ne distinguais pas le ciel. Pourtant, je trouvai bientôt un chemin de terre qui coupait droit à travers le champ. Mais je m’en désintéressais et retournais, contre ma volonté propre, vers les hautes herbes. Mon esprit d’enfant me forçait à faire des choses que je savais mauvaises, mais je ne pouvais lutter. Mon corps suivait le chemin inverse de mon âme. Tout à coup, venue d’on ne sait où, une grande claque violemment assénée sur ma joue me fit chuter au sol, sur la terre poussiéreuse du sentier. Mais je ne voulais pas de ce sentier, mais je le savais bon. Et je pleurais à chaudes larmes de cette douleur vive alors que je ne désirais qu’obéir à cet ordre venu d’ailleurs, directement imprimé sur la joue. Dans mon esprit s’affrontaient deux entités que je ne savais distinguer. Relevant la tête, je réussis à apercevoir à travers mes larmes, le soleil. Haut dans le ciel, il revêtait une teinte brunâtre que je n’avais auparavant jamais remarquée. Emporté par un instinct primaire, je me dressais sur la pointe des pieds, ravalant ma douleur, et tendais les bras vers cet astre flou qui m’éclairait si mal …

***

Un seau d’eau m’accueillit. Une vague glacée de liquide pénétra jusque dans mon cou, et aspergea tous mes habits.
- DEBOUT ! Molasson !
Quand j’ouvris les yeux, je crus devenir fou. Celui qui m’avait réveillé ainsi n’était autre que le vieux bonhomme de hier soir !
- VOUS ! Mais quel culot, je…
- Tais-toi ! Y a rien à dire. Va trouver l’île si tu veux la trouver, mais essaye au moins de savoir pourquoi tu veux la trouver.
- Mais je le sais bien ! Galdek a confiance en moi et en mes convictions, et cela seul me suffit !
A ces mots, le vieil homme laissa brutalement tomber le sceau d’eau. Il se tourna lentement vers moi, laissant supposer une soudaine pointe d’intérêt sur son visage torturé. C’était comme si le dédain et l’absurdité qu’il m’attribuait avaient soudain perdu de leur intensité. Il me scruta de haut, soupçonneux :
- Très bien, je t’écoute.
- EH bien …
Je repensais subitement à ce que m’avait dit ce même homme hier au soir…incapable de formuler clairement tes désirs … Je baissai les armes. Ma courte vie m’avait suffi à bien me connaître. Je savais pertinemment tous les travers de mon âme, mais heureusement, j’en connaissais aussi toutes les qualités. Mettant en application une méthode égoïste mais que je jugeai juste, je balbutiai :
- Je…Je ne veux rien vous dire, même si je le peux. Laissez moi ma naïveté, laissez-moi mon innocence. Ne pensez pas me connaître d’un simple regard, il n’y que moi ici qui peut me connaître vraiment. Je suis le seul à avoir besoin de connaître la réelle raison de cette quête, personne d’autre n’en ferait meilleur usage que moi. Sachez en tous les cas que la vie adulte ne m’intéresse pas si elle se fait dans les conditions qu’on me proposait avant. J’attendrai de trouver l’endroit idéal, j’attendrai de trouver l’île…

Mes paroles furent suivies d’un long silence. Le dédain ne se lisait plus du tout sur le visage du vieil homme, comme s’il avait compris quelque chose. Pourtant, son expression n’avait pas réellement changé. Peut-être était-ce simplement moi qui l’interprétait autrement ? Je savais que, en quelques minutes, j’étais devenu un être différent. La réaction du vieil homme avait été la même que celle de Galdek, lorsqu’il m’avait recueilli. En quelques mots, il avait compris qui j’étais réellement. Seul un esprit d’une grande sagesse était capable d’une telle prouesse. Ceci étant, il ne réagit à ma déclaration que d’une seule manière, aussi étrange soit-elle :
- De quoi as-tu rêvé cette nuit ?
Je ne mis pas longtemps à me remettre de ma surprise devant sa réplique. Alors je lui contais mes deux précédents rêves. S’il fut étonné, je ne le vis pas. S’il fut satisfait, il ne le laissa pas paraître non plus. Avant qu’il ne s’enfuit, je tentai une question qui me torturait l’esprit :
- Dites … connaissez-vous Galdek ? A chaque évocation de son nom, j’ai l’impression que …
Le vieillard eut un sourire étrange :
- Oui, je le connais Galdek…
Je laissai quelque secondes s’écouler, puis le vieux reprit, sa voix teintée d’une nostalgie soudaine :
- Il a été mon meilleur ami. On se suivait partout … partout … enfin presque. On se suivit jusqu’au jour où lui put continuer la route, tandis qu’elle restait close pour moi. Il a réussi, moi non, et bêtement, j’attends encore là, pour Dieu sait quelle raison …
Il me tourna alors simplement le dos et s’en alla dignement vers sa cabane…
Avant de fermer la porte, il prononça ces quelques mots :
- Bonne chance, Kern …que la Lumière t’ouvre la voie … à toi aussi…
Je ne compris pas le sens de cette attitude, ni même de cette dernière phrase d’ailleurs. Ce que je savais, au fond de moi, ce que mon esprit mature avait décelé, était que cette rencontre avait été d’une importance et d’une intensité considérable… Mon voyage commençait vraiment…


Je passai la journée suivante à marcher. Je m’infiltrais de plus en plus dans la forêt profonde. La végétation du sol était maintenant envahissante, et les arbres prenaient des tailles que je n’aurai jamais imaginé possibles. Ayant presque oublié la présence de Dok, ce dernier prit bien soin de me la faire remarquer, et je dépensai une partie de mon après-midi en vains efforts pour tenter de récupérer ma chaussure. Mais peu importait. Les propos du vieillard s’effaçaient presque d’eux-mêmes, au même rythme que je recouvrai mon innocence tant désirée. Encore quelques jours et je ne serai même plus capable de parler comme je l’avais fait. De toute manière, la seule chose qui avait de l’importance aujourd’hui, était que ma volonté ne faiblisse pas...et elle ne faiblirait pas…

***

Il pleuvait. Il pleuvait une fine pluie qui ne mouillait pas. Elle me traversait de part en part, agitée en tous sens par un vent inconnu. Pourtant, dans cette atmosphère sombre et humide, j’avais enfin l’impression d’y voir. Un voile précédemment posé sur mes yeux se levait petit à petit, et je découvrais des choses que je n’aurasi pu imaginer. Soudain, je posai le pied dans une flaque d’eau qui, instantanément, se transforma en un lac immense dont on ne distinguait pas les bords. Posé ainsi au milieu du fluide, je me sentais seul et perdu. Je commençai doucement à sangloter, et mes larmes se mêlaient à l’eau pour la rendre salée. De lac elle passa à mer, et de mer elle passa à vagues, houles, rouleaux, déferlantes et bientôt tourbillons. Je pouvais enfin apprécier les grandeurs de ce monde. Mais je ne le maîtrisais pas, j’étais à leur merci, je ne faisais qu’observer sans prendre part au cataclysme intérieur qui se déroulait sous mes yeux. Suivant une intuition follement dangereuse, je me penchai lentement au dessus du gouffre. Au fond, je pouvais distinguer l’œil du tourbillon qui me lorgnait de ses profondeurs. Aucune méchanceté. Aucune menace. Non, rien de cela. Juste une couleur… incrustée dans la pupille…brune…j’y plongeais…

***

Un bruit de tambour, au lointain, lancinant et monotone. J’ouvrai les yeux précipitamment. Le tamtam se mêla un instant à la fin de mon rêve, mais très vite je sus distinguer le réel de l’irréel. La tête encore embrumée par ma nuit de sommeil, je rassemblai en vitesse mes affaires et me retrouvai quelques instants après, habillé, mon sac sur l’épaule, et pratiquement prêt à affronter une nouvelle journée. C’est alors que les tambours refirent apparition dans mon esprit. Intrigué par cette présence inexplicable, je tirai sur l’oreille de mon crotard pour le réveiller et commençai à marcher à travers la végétation dense de la forêt, en direction du bruit.

Il ne me fallut pas quelques minutes pour rejoindre un chemin perpendiculaire bien plus large et important que celui que j’avais emprunté jusqu’alors. Tournant mon regard vers la droite, je vis comme une fumée épaisse, qui grossissait au même rythme que s’intensifiait la marche sonore. Je me décidai alors à attendre ici, dissimulé par les branches et feuilles d’arbres de petite taille, avec pour seule compagnie que l’halètement frénétique de Dok.
Les tambours s’approchaient. Je me penchai un peu pour tenter d’apercevoir les premiers arrivants. Je me rendis alors compte que j’agissais avec la curiosité d’un enfant de 10 ans, et je me renfrognai, boudeur, derrière mon couvert de verdure. Ce devait être une sorte de procession, car elle avançait à un train régulier, et devait compter de nombreux individus pour dégager une fumée pareille. Bientôt, je respirai les premiers embruns de poussières et ma vision se brouilla quelque peu sous l’épais nuage.
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MessageSujet: Re: D’une lumière brune…   D’une lumière brune… EmptyLun 9 Oct - 17:04

Quelques minutes plus tard, ils étaient là. Je n’en croyais pas mes yeux. Je les voyais comme s’ils appartenaient à la réalité, mais une telle aberration ne pouvait avoir de sens. Au nombre d’une quarantaine, hauts d’au moins deux mètres et large d’autant, ces espèces de créatures vertes mi éléphant mi homme se balançaient d’un pied sur l’autre tout en avançant à un rythme proche de l’escargot. Déjà la procession atteignait sa moitié que je n’en revenais toujours pas. Envahi par la fumée, les feuilles n’avaient plus besoin de me dissimuler au regard de ces étranges animaux. Je me trouvais à seulement quelques mètres d’eux, et j’eus tous le loisir d’étudier leur « corps ». Entièrement verts, leurs immenses bras tombaient au niveau de leur genoux, jouant le rôle de balanciers. Leurs jambes, au contraires de petite taille, supportaient un corps à peine deux fois plus volumineux que leur tête. Il aurait déjà été difficile de s’imaginer ces créatures, mais les voir était une toute autre épreuve. Leur tête revêtait bel et bien une expression sympathique, affichant un sourire sous des yeux rieurs et un long nez en forme de trompe. Je ne vis nulle trace d’instruments, d’où aurait pu émaner la musique qui occupait maintenant tout l’espace sonore. C’est comme si les créatures elles-mêmes créaient le rythme en frappant leurs pattes contre le sol.
Progressivement, les énormes bêtes s’éloignèrent, et s’effacèrent peu à peu leurs tambours dans les profondeurs végétales. Je restai encore quelques instants assis, sous le choc, puis je pensai à aller récupérer une grande dose d’air pur. Je sortis de ma cachette et allai m’étirer sur le chemin précédemment emprunté par la procession. Tout en me contorsionnant dans tous les sens, je vis Dok bondir hors des fourrés et se précipiter dans la direction des créatures en aboyant de toutes ses forces. Pris d’une brutale frayeur, je me mis à le poursuivre en le sommant de s’arrêter de suite, de m’obéir. Je ne voulais surtout pas qu’il rattrape la procession, et à ce train d’enfer, il ne mettrait pas longtemps. Ce n’est que quand j’évoquai l’idée d’une privation de nourriture qu’il ralentit sa course. Fier de ma trouvaille, je freinai moi-même mon élan et me rapprochai sans difficulté de mon crotard, que je saisi par la peau du cou :
- Alors Dok, on est tout de suite moins à l’aise, hein ! Qu’est ce qu’il t’as pris de t’enfuir comme ç…
Mais alors je remarquais que l’animal n’avait que faire des mes sermons. Non. Ce qui l’intéressait se trouvait droit devant lui, et il ne le quittait pas des yeux. J’eus l’ingénieuse idée de, à mon tour, regarder dans la même direction.
C’est alors que je crus avoir une hallucination.
Le chemin s’arrêtait net, et précédait une clairière recouverte d’herbe verte et grasse, d’une taille qu’elle n’avait pu obtenir que méticuleusement entretenue. Mais le plus étonnant n’était pas ce paysage sorti de nul part, mais bien le petit être qui se trouver au centre.

- Il y a une place près de cet arbre là. Je l’ai préparé pour toi, juste pour toi. Ne t’en fais pas, Dok pourra se coucher près de cet arbuste-ci. A plus petite taille plus petite couchette n’est-ce pas ?
Elle partit d’un rire cristallin tout en sautillant vers les deux arbre désignés.
-Voilà j’ai tout bien préparé pour ton arrivée, Kern. Tu dois être bien fatigué. Si j’osais, je te conseillerais tout de suite de t’allonger et de récupérer…mais tu dois être bien assez grand pour y penser tout seul, n’est-ce pas ?
Encore une fois, son visage s’illumina d’un sourire et l’air devint plus léger au son de la douce mélodie de ses gloussements.
Je restai pétrifié. Tenant toujours Dok par l’encolure, n’ayant pas bougé d’un centimètre depuis cette apparition, je n’étais même plus en mesure de penser. L’idée que ce que je vivais là ne pouvait pas être réel ne me vint même pas à l’esprit, et tout au contraire, l’envie de me laisser porter par ce rêve éveillé devenait de plus en plus forte.
Lentement, j’y cédai.
Dok aussi.
Et la petite fille, douceur étoilée d’un autre monde, perle blanche dans un paradis vert-feuille, fit tout pour m’y entraîner.

Je bondis d’un saut léger et vint m’allonger au creux des racines duveteuse de l’arbre qu’elle m’avait désigné. Elle, elle rigolait, au loin, jouant avec Dok dont la queue n’avait jamais autant remuée. Son rire me traversait la tête et y déposait les empreintes d’un monde merveilleux. Sourire d’enfant sur mon visage d’or brun, je laissai mon esprit vagabonder. Je m’élevai au dessus de la forêt, tournait la tête de tous les côtés, puis replongeait avec ivresse vers le cœur de la clairière. Je m’immergeai alors dans le petit corps de chair et dégustait ses cheveux fins, son nez rebondi, ses yeux, dont les pupilles reflétait le brun de la vie. Dans mon voyage, je rencontrai peu à peu tout ce que j’avais vécu. Je faisais marche arrière, je revoyais les scènes de vie oubliées, celles qui font mal, celles qui font sourire ou pleurer. Je m’apercevais jeune et misérable, moins jeune et toujours plus triste. Je ne comprenais pas cette attitude, moi, qui flottais maintenant allègrement dans cet univers de paille. Je saisissais au vol mes idées noirs, mon long désespoir, filament noir et insaisissable, et je les jetai au loin. Je fonçais à toute allure dans mon univers passé, je le nettoyais, le vidais, je me prenais la main, m’entraînais vers des cieux plus clairs. Je repartais jusqu’au plus profond et dénichais mes restes d’une enfance gâchée, d’un avenir voué à la solitude. Des mots me revenaient en pagaille, je les brisais d’un souffle.

-Pourquoi suis-je ici ?


Tout se mélangeait à présent.
Une scène réapparaissait dans ma mémoire. Les longs éléphants s’inclinaient sur mon passage, abaissant bien bas leurs trompes de caoutchouc. Ils souriaient toujours, mais il m’adressaient cette récompense, à moi.

-Parce que tu le mérites…

Puis une tête énorme émergeait dans mon esprit. Ses yeux globuleux et son nez en patate me mirent de la joie au cœur. Il cirait et me sermonnait, mais ses paroles pour moi n’étaient plus justes. Elles étaient dépassées. Au lieu de rancœur, il me couvrait de louanges, au lieu de coups, ce sont des caresses que je recevais. Dok me sautait dessus, et un grand seau d’eau me trempait le visage.


- Raconte-moi Kern…

- Te raconter ?

- Oh oui !

Une petite marionnette qui se meut sans cœur dans les rues sales. Un petit nuage qui passe au dessus du monde, le survole. Un petit être qui comprend autant qu’il grandit. Un petit être qui voit peu à peu se dévoiler la vraie nature de son milieu, en même temps que celui de la vie. Et qui voit s’éloigner au loin les maigres espoirs de ses désirs. Réussir personnellement. Se construire une vie, à soi-même. Son père qui sermonne entre ses dents d’ivrogne. Qui sermonne des paroles de sage, des lettres de cœur et de philosophie. Et le petit être de l’écouter et d’y croire… ce petit être qu’a choisi Galdek avant qu’il ne prenne la même voie que son père…

- Galdek ?

- Oui, le connais-tu ?

- Hihi si je le connais…

- Oui ?

- Il t’attends

- Où ?

Galdek et son pouvoir. Galdek et sa sagesse. Il me donnait tout. Il était assis à sa table, en train d’écrire le roman de sa vie, quand soudain il leva les yeux. Lentement, comme s’il comprenait ce qu’il avait cherché toute sa vie, il orienta son regard dans ma direction. Ses yeux pétillaient, son crâne faisait éclore mille fleurs au parfum enivrant, ses mains volaient dans l’espace, son corps entier s’était fait de neige. Il sourit de fierté, et par sa bouche ouverte sortirent des mots de victoire…et de remerciements. On distinguait même, comme une lumière, un mot plus important que tous les autres : Bienvenue, me disait-il, bienvenue !

- Qui es-tu ?

- Considère moi comme une réussite…

- Qui suis-je ?

- Ce que tu es ? Un rêve. Le rêve de toi-même … Tu es un sage, Kern.

- Ais-je réussi ?

- As-tu réussi ?

- Oui …

- Bienvenue …



Là, tout n'est qu'ordre et beauté,

…Je comprenais tout…

Luxe, calme et volupté.

…Enfin l’aboutissement…

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,

…J’avais trouvé l’île…

Luxe, calme et volupté.

…J’avais trouvé mon idéal …

…Le commencement du voyage…

…J’avais trouvé ma vie …
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